Les conditions d’une conduite du changement réussie d’après Jean-Paul Bailly

Pour cette rentrée, je vous conseille – si vous ne l’avez pas encore lu – le livre du dirigeant humaniste Jean-Paul Bailly intitulé « Réformez ! Par le dialogue et la confiance » (Editions Descartes et Cie, 2016). J’ai pu le découvrir en assistant récemment à un colloque de l’Académie des Sciences Morales et Politiques où l’auteur était invité (Palais de l’Institut de France, 13 juin 2018).

Jean-Paul Bailly a notamment dirigé et transformé en profondeur deux grandes entreprises publiques françaises : la RATP (de 1994 à 2001) et La Poste (de 2002 à 2013). Le message que ce dirigeant a voulu léguer à la suite de ces expériences est foncièrement positif : « les Français ne sont pas hostiles aux réformes » (contrairement à ce qu’a dit récemment M. Macron…) à condition toutefois de s’appuyer sur un vrai dialogue et, surtout, de chercher à développer et entretenir un climat de confiance avec toutes les parties prenantes. Chez Jean-Paul Bailly, ces mots ne sonnent pas creux car il leur donne un contenu et une méthode.

Au niveau du contenu, on reconnaîtra au dirigeant d’avoir cherché à identifier les conditions de la confiance en partant de ses expériences. Il les résume ainsi : « La confiance se construit essentiellement par la considération pour les hommes et les femmes, la reconnaissance du travail et le respect des engagements » (p. 110). Un peu plus loin dans son ouvrage, il précise sa pensée sur les conditions de la confiance : « La confiance ne se mesure pas à la satisfaction des intérêts, des demandes ou des revendications catégorielles. Elle se mesure au fait que chacun estime que son point de vue a été écouté, qu’on lui a expliqué pourquoi sa position n’a été que partiellement retenue, voire pas du tout, qu’il a compris les enjeux de toutes les autres parties prenantes et que la décision finale, même si elle ne lui plaît pas, lui paraît faire sens, c’est-à-dire équilibrée et équitable entre toutes ces parties prenantes » (p. 140)

La confiance avait une telle importance pour l’auteur qu’il recommandait à ses managers, de manière répétée, de s’interroger régulièrement ainsi : « à chaque décision que vous prenez, dans chaque échange avec un collaborateur, un client ou un élu, posez-vous la question : est-ce je détruis ou construis de la confiance ? Et en fin de journée, aujourd’hui, ai-je construit ou détruit de la confiance ? » (p. 111). De manière cohérente, en s’interrogeant sur les moyens efficaces de piloter un projet ou une activité, il en arrive à la conclusion suivante : « En fait, les entreprises pourraient n’avoir qu’un seul indicateur sur leur tableau de bord : celui de la création de confiance. La confiance, voilà finalement la mesure et le levier de toutes les réussites. » (p. 139)

On comprend, à la lecture de l’ouvrage de Jean-Paul Bailly, que la confiance n’est, pour lui, pas une condition parmi d’autres dans la mise en œuvre d’une transformation profonde en entreprise : elle en est la condition centrale, celle qui permet toutes les autres. L’auteur le dit ainsi : « Comment peut-on imaginer conduire une entreprise […] et piloter les réformes nécessaires si l’ensemble des collaborateurs […] ne sont pas convaincus que le climat de confiance constitue l’essence même d’une réforme réussie » (p. 31).

Quant à la méthode pour mener une transformation, elle est schématiquement décrite dans la figure proposée au début de cet article. En résumé, l’auteur considère que toute transformation majeure exige de :

  1. Partir d’un diagnostic partagé sur la situation. A ce propos, on ne peut que souligner la justesse de l’analyse de Jean-Paul Bailly lorsqu’il tire le constat que cet objectif n’est pas facile à atteindre dans les grandes entreprises car « autant les acteurs peuvent s’entendre sur l’état de la situation actuelle, autant ils peuvent être en désaccord sur les prévisions d’évolution de cette situation. Or, c’est souvent ces prévisions qui justifient le plus des mesures radicales de changement. »
  2. Rappeler le sens, la mission et les valeurs de l’entreprise en défendant l’idée que la transformation ne va pas les détruire mais, au contraire, va permettre de les préserver.
  3. Construire une nouvelle ambition partagée, un projet dans lequel chaque acteur trouvera sa place.
  4. Maitriser le temps de la transformation, ce qui suppose notamment de ne pas la faire dans l’urgence – donc de l’avoir anticipée et bien préparée.
  5. Co-construire la transformation par la concertation, le dialogue et la responsabilisation des équipes locales qui doivent disposer de marges de manœuvre dans sa mise en œuvre. Soulignons que Jean-Paul Bailly a dû négocier, dans les entreprises qu’il a dirigées, avec des organisations syndicales qui étaient loin d’être acquises à sa cause. Et pourtant, en évitant d’arriver avec des idées toutes arrêtées, en écoutant le point de vue de ses interlocuteurs, en ne cédant pas sur l’ambition mais en adaptant la trajectoire et la méthode à suivre pour tenir compte de leurs craintes et de leurs propositions et en préférant à l’acharnement l’abandon de certains projets qui n’obtenaient pas l’adhésion, il a réussi là où beaucoup d’autres auraient échoué.

Il n’est pas si fréquent de voir des dirigeants français prendre le recul sur toute une carrière, en tirer les leçons et les partager avec un public large en veillant à vulgariser leur langage. Il n’est pas non plus si fréquent de rencontrer un dirigeant expérimenté qui tire comme principale leçon de sa longue expérience que la condition essentielle du management est une valeur immatérielle : la confiance. Et qui a su la concrétiser dans l’un des contextes d’interaction les plus difficiles en France : le dialogue social dans les grandes entreprises publiques. Ne serait-ce que pour ces raisons, le livre de Jean-Paul Bailly mérite d’être lu et très largement partagé par tous ceux qui pilotent, conseillent ou participent à la conduite du changement en entreprise.

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