Développer des équipes autonomes : Comment s’y prendre ? Quels pièges éviter ?

« En milieu professionnel, l’autonomie est la somme d’un pouvoir d’agir à l’intérieur d’un cadre clair mais aussi large que possible, d’une maîtrise des moyens comme des modalités de l’action et du sentiment d’avoir à rendre des comptes. Qu’il manque l’un des deux premiers ingrédients et l’autonomie, tronquée, provoque la frustration ; qu’il manque le dernier et elle sombre dans l’irresponsabilité. »

Jean-Dominique Senard, Président du groupe Michelin de 2012 à 2019[1]

 

Une équipe autonome en action[2]

Il est 9h à la Maison Sainte-Anne, un EPHAD à taille humaine accueillant moins de 100 résidents. Dans l’une de ses unités, le petit-déjeuner servi dans la salle à manger récemment inaugurée vient de se terminer. Encore une fois, Maryse, aide-soignante, et sa collègue Evelyne, agent hôtelier, ont apprécié de voir les résidents, une douzaine de personnes âgées qui avaient l’habitude de prendre leur petit-déjeuner seules dans leur chambre à heure fixe, venir avec plaisir autour de la grande table centrale engager la conversation avec leurs convives. Certaines se sont mises à manger seules, sans aide, alors qu’elles ne le faisaient pas auparavant. Et beaucoup ont retrouvé l’envie d’agir, en participant à la mise en place du petit déjeuner, en débarrassant ou en participant à la vaisselle. Maryse a repensé au moment où, avec ses collègues, elle a proposé d’aménager cette salle à manger, ce qui a été immédiatement accepté par sa cadre de santé et sa directrice, lesquelles avaient sollicité des idées pour améliorer la qualité de service. Elle a aussi repensé aux annonces du Bon Coin qui avaient été épluchées pour trouver une table, des chaises, un buffet, quelques fauteuils et tout le matériel de cuisine avec le mince budget que son établissement avait accordé. Ça n’a pas été facile et heureusement, en prenant l’initiative d’en parler à quelques familles, certaines d’entre elles ont proposé de donner différentes choses. Comme une réponse à ces dons, Maryse et d’autres aides-soignantes leur avaient proposé de venir de temps en temps prendre le petit déjeuner ou le goûter avec les résidents, ce que la plupart des familles ont accepté avec joie. Elles avaient alors eu la surprise de voir ces familles venir avec des gâteaux, des fruits, des jus de fruits et bien d’autres choses, et demander de participer au débarrassage ou à la vaisselle. Les familles semblaient rassurées de revoir leurs parents retrouver goût à la vie grâce à cet espace de socialisation qu’est la salle à manger.

Il est 9h à la Maison Sainte-Anne. Maryse sort de ses pensées car il faut aller faire le tour des chambres pour ramasser le linge sale. Cette tâche est, elle aussi, devenue un vrai plaisir depuis les changements décidés en équipe : au lieu de passer avec un chariot avec d’un côté le panier de linge sale et, de l’autre, celui avec le linge propre, comme cela se faisait jusqu’ici, chaque résident dispose maintenant dans sa chambre de son propre linge et de ses propres paniers. Faire le ramassage du linge était devenu pour les aides-soignantes l’occasion d’entretenir un moment privilégié d’échange avec chacun d’entre eux et leur montrer que leur bien-être faisait partie de leurs priorités. Ce changement, comme d’autres qui avaient été introduits ces derniers mois, a permis à Maryse et ses collègues de retrouver beaucoup d’intérêt dans leur métier.  Et ce n’est pas fini : plusieurs d’entre elles voudraient revoir le planning de travail en supprimant les coupures et en mettant en place des journées continues de 10h, ce qui permettrait de travailler 3 ou 4 jours par semaine selon les semaines et, ainsi, de mieux profiter de sa vie de famille. La directrice leur a déjà dit qu’elle était d’accord pour que la réflexion soit menée, à condition de bien appliquer l’ensemble des règles RH et de prévoir une validation des nouvelles grilles horaires par le CSE. Reste maintenant à convaincre tous les autres membres de l’équipe.

Pourquoi opter pour des équipes autonomes ?

L’autonomie au travail connait aujourd’hui un regain d’intérêt de la part des entreprises qui y voient un moyen de faire progresser la qualité de service, redonner du sens au travail et renforcer l’engagement de leurs salariés, favoriser leur bien-être au travail et, par-là même, fidéliser et augmenter leur attractivité. On peut citer à cet effet l’une des conclusions d’une étude menée par La Fabrique de l’Industrie, le think thank Terra Nova et l’Aract Ile-de-France : une « démarche de responsabilisation des équipes, quelle que soit la façon dont on la nomme et dont on la conduit, sera de plus en plus reconnue comme la condition première de l’engagement des personnes, un puissant facteur de cohésion sociale et un levier incontournable de compétitivité. » [3]

L’autonomie au travail est aussi une réponse à une évolution sociétale [4] : « Des différentes formes d’insubordination qui agitent le monde du travail monte une demande d’autonomie. (…) La hausse tendancielle du niveau de formation de la main-d’œuvre couplée à des attentes d’épanouissement plus fortes au travail, ainsi qu’à une intériorisation de la norme d’autonomie des individus, tout cela contribue à valoriser des situations d’activité où l’on est davantage son propre maître et où l’on voit davantage le produit de son effort. »

L’intérêt des entreprises pour l’autonomie rejoint les convictions de psychologues du travail qui la considèrent comme un besoin fondamental des êtres humains [5]. En accordant de l’autonomie, on répond à ce besoin et la motivation des travailleurs en ressort renforcée.

La sociologie du travail et l’ergonomie ont aussi souligné l’importance pour les travailleurs de disposer de marges de manœuvre pour être en capacité de gérer efficacement toutes les variations du travail et les imprévus qui se présentent, mais aussi pour préserver leur santé [6], [7].

L’autonomie peut se décliner au niveau individuel ou au niveau collectif. Nous avons privilégié cette deuxième approche ces dernières années, en considérant qu’elle permettait de dépasser certaines craintes managériales – la crainte notamment que l’intérêt individuel prenne le dessus sur l’intérêt de l’entreprise – tout en contribuant à renforcer les collectifs de travail. Cette approche conduit à développer des équipes autonomes.

Pour éviter toute ambiguïté et tout malentendu sur l’objectif qui est visé avec cette approche, il faut éclaircir cette notion.

L’équipe autonome : éléments de définition

Les managers qui découvrent le concept d’autonomie au travail ressentent parfois une crainte, assimilant la notion d’autonomie à celle de liberté ou d’indépendance. Il peut être bon de rappeler, déjà, que la liberté totale, concept éminemment philosophique, s’il constitue un idéal pour certains, n’existe pas en réalité : sauf à vivre sur une île déserte, la liberté humaine est toujours limitée par les lois, normes sociales, obligations morales et contraintes matérielles qui caractérisent l’espace dans lequel on vit. Au même titre, l’autonomie au travail n’est pas l’indépendance totale. Une équipe autonome n’est pas une équipe totalement libre de décider ou de faire ce qu’elle veut.

Une équipe autonome est une équipe qui a la possibilité de prendre des initiatives et des décisions dans le respect non seulement du contrat de travail qui lie chaque salarié à son entreprise, mais aussi d’un cadre co-défini avec son encadrement.

La notion de cadre

Cette notion de cadre est essentielle, mais de quoi s’agit-il exactement ? Les tenants du courant de l’entreprise libérée [8] considèrent qu’il doit surtout être constitué des valeurs et du projet stratégique de l’entreprise, lesquels doivent être partagés par tous les collaborateurs pour guider leurs prises de décision. Mes expériences m’ont conduit à reconnaitre l’intérêt de ces éléments, mais à juger aussi utile d’intégrer dans le cadre des notions plus précises, moins sujettes à interprétation, en particulier :

  • Le périmètre initial de l’autonomie: l’autonomie porte généralement sur une ou plusieurs missions bien spécifiques qui entrent dans le cadre de l’activité et qui ont des limites. Ces limites se définissent par les décisions que l’équipe peut prendre seule et celles pour lesquelles l’encadrement ou d’autres acteurs bien spécifiés doivent être sollicités. Des expériences ont par exemple été conduites avec des aides à domicile pour développer leur autonomie, en se concentrant en premier lieu sur une mission : la gestion de leur planning [9]. Dans les expérimentations que j’ai accompagnées, une équipe RH a accepté de prendre la mission de gérer en autonomie la prise en charge des personnes en situation de handicap dans l’entreprise ; une équipe d’éducateurs spécialisés au sein d’un Institut d’Éducation Motrice (IEM) a accepté de gérer en autonomie l’organisation complète de la rentrée scolaire ; une équipe de soignants en EPHAD a accepté de revoir complétement son organisation du travail et l’aménagement de ses locaux dans le but d’apporter un service plus individualisé à ses résidents ; une équipe pluridisciplinaire en EPHAD a pris la mission d’élaborer des solutions pour améliorer la cohésion d’équipe et harmoniser les pratiques entre les équipes de jour et de nuit.  Ce ne sont là que quelques exemples qui montrent à la fois toute l’étendue des missions possibles qui peuvent être prises en charge par une équipe responsabilisée, mais aussi le fait que l’approche proposée ne conduit pas à autonomiser une équipe sur l’ensemble de son activité, en tout cas pas de prime abord.
  • Double accord: la définition du périmètre initial de l’autonomie ne peut être imposé, ni par l’encadrement, ni par l’équipe : il doit nécessairement résulter d’un double accord. Un manager ne peut donc pas profiter d’une démarche d’équipe autonome pour se « décharger » d’une mission qui ne lui plairait pas : il doit nécessairement s’assurer que cette mission fait sens pour ses collaborateurs et leur paraît gérable. Et une équipe ne peut « s’accaparer » une mission sans l’accord de son manager, sous peine de détériorer leur relation et de menacer les conditions de réussite de la démarche.
  • Les objectifs de l’autonomie : il s’agit ici de définir les attendus liés au développement de l’autonomie. Ces attendus portent, par exemple, sur l’efficience des processus, la qualité de service, la satisfaction des usagers, la qualité de vie au travail. En les définissant, on donne un sens à l’autonomie qui dépasse le simple fait de pouvoir prendre des décisions seul et on s’assure que les actions des membres d’une équipe concourront à atteindre des objectifs communs.
  • Des règles de fonctionnement: ces règles, co-définies par l’équipe et son encadrement, portent sur deux dimensions :  (1) le fonctionnement de l’équipe – par exemple, une équipe peut décider de se réunir une fois par semaine pendant une heure, en demandant à tour de rôle à l’un de ses membres de rédiger un compte-rendu ; (2) les échanges entre l’équipe et son encadrement – par exemple, une équipe et son manager peuvent décider de partager le compte-rendu de chaque réunion d’équipe et/ou se rencontrer tous ensemble une fois par mois.
  • Des contrôles : bien que moins intuitive, l’idée d’appliquer des contrôles à une équipe autonome s’avère pourtant indispensable au développement de l’autonomie, comme l’a montré récemment une équipe de chercheurs [10]. Ces contrôles peuvent porter sur la définition des objectifs, la production de l’équipe, la qualité de ses prestations ou même les dérives comportementales. Ils n’ont toutefois un effet vertueux que s’ils sont compris et acceptés par les membres de l’équipe ou, mieux encore, s’ils répondent à un besoin qu’ils ont exprimé. Par exemple, les équipes autonomes peuvent être favorables à un contrôle de leur temps de travail  si cela permet d’assurer le respect des règles horaires par tous et/ou d’éviter à certains de faire trop d’heures supplémentaires. Autre exemple : des membres d’équipes autonomes peuvent vouloir tracer leur temps passé sur chaque activité, afin de rendre visible aux yeux de leur manager le travail qu’ils réalisent. En développant des équipes autonomes, on s’aperçoit que la fonction de contrôle peut prendre différentes formes : l’auto-contrôle, le contrôle par les pairs, le contrôle par le collectif et le contrôle hiérarchique. Le choix des modalités de contrôles doit résulter d’un débat entre l’équipe et son responsable.

Privilégier des équipes de taille réduite

La phase de cadrage d’une équipe autonome porte aussi sur des aspects structurels. De nombreuses recherches ont montré que les équipes doivent avoir une taille limitée, entre 5 et 10 personnes, pour garantir l’implication de tous et obtenir de meilleures performances [11].

On sait aussi que les relations de confiance et la cohésion sont favorisées dans les équipes de petite taille, en particulier lorsque ces équipes doivent prendre des décisions et pas uniquement assurer une production routinière [12].

En conséquence, pour constituer des équipes autonomes, il peut être nécessaire de réfléchir à une subdivision d’équipes constituées qui sont plus grandes.

En théorie, la subdivision d’une équipe peut s’appuyer sur des critères de compétences, ou alors sur des missions spécifiques prises en charge par chacune des sous-équipes. Toutefois, ces critères ne s’avèrent pas toujours applicables. Dans ce cas, il peut être nécessaire de subdiviser l’équipe en sous-équipes possédant les mêmes compétences et réalisant des missions similaires tout en mettant en place des mécanismes de communication et de coordination entre elles pour leur garantir de travailler de manière cohérente.

Evaluer le niveau de maturité de l’équipe

Une autre étape du cadrage d’une équipe prête à développer son autonomie consiste à évaluer son niveau de maturité pour la mission qui lui est confiée (dans le cadre de cet article, l’expression niveau de maturité est synonyme de niveau d’autonomie). Cet exercice doit partir du principe qu’une équipe acquière progressivement l’ensemble des compétences nécessaires à son autonomie.

Dans ce but, on peut se référer aux 4 niveaux d’autonomie distingués par Christophe Everaere [13] :

  • le niveau 0, qui caractérise l’incompétence et l’absence d’autonomie ;
  • le niveau 1 qui marque le début de l’autonomie et se traduit par des individus qui posent les « bonnes » questions ;
  • le niveau 2 dans lequel les individus ont appris à adapter intelligemment les règles ou procédures de travail sans dépasser les limites qui leur ont été fixées ;
  • le niveau 3 qui traduit une bonne maitrise de l’activité et la capacité à formuler des propositions d’amélioration pertinentes.

Toutefois, l’expérience montre que cette échelle ne s’avère pas suffisamment opérationnelle pour évaluer la maturité d’une équipe en contexte de travail. En partant de l’observation des compétences que les équipes acquièrent progressivement tout en gagnant en autonomie, j’ai conçu une échelle en 5 niveaux (fig. 1).

Cette image décrit 5 niveaux d'autonomie proposés par Ergomanagement pour évaluer le niveau de maturité d'une équipe

Figure 1. 5 niveaux pour caractériser la maturité d’une équipe

Il est important que l’équipe évalue, grâce à cette échelle, son niveau de maturité pour remplir la mission que veut lui confier son manager. A cette fin, il faut préciser que l’échelle doit être commentée par le manager, voire adaptée, pour que l’équipe se l’approprie totalement. Cette évaluation peut être l’occasion d’un débat. La résultat de ce débat est une plus grande lucidité de l’ensemble des membres de l’équipe sur ses capacités réelles – et donc ses limites – pour assurer sa mission. Cette lucidité favorise l’adoption de comportements adéquats au sein de l’équipe ainsi que de la part du manager.

Différentes postures managériales possibles

En effet, la dernière étape du cadrage de l’équipe, qui découle de la précédente, consiste pour l’encadrement à définir son positionnement et le partager avec son équipe. En simplifiant, on peut distinguer 3 types de posture dans l’accompagnement d’une équipe autonome :

  • le manager guidant et pédagogue: sa fonction est d’apprendre à l’équipe à réaliser une mission donnée en lui montrant comment faire, ou en lui proposant une formation et en étant à ses côtés lors de ses premières réalisations.
  • le manager en observation: lorsqu’une équipe commence à se sentir autonome pour réaliser sa mission, le manager peut décider de la laisser faire tout en restant suffisamment proche pour s’assurer que tout se déroule bien. Concrètement, cela peut se traduire par une réunion d’équipe ou un point sur son activité avec un membre de l’équipe une fois par semaine.
  • le manager en soutien: avec ce positionnement, le manager délègue complètement la mission et n’impose plus de point de suivi à son équipe. Il reste par contre disponible pour lui venir en aide, lorsqu’elle en exprime le besoin, et pour relayer certaines de ses demandes vers d’autres niveaux de l’organisation quand il n’a pas lui-même les moyens d’apporter les réponses attendues.

La mise en œuvre de ce dernier positionnement est à rattacher au principe de subsidiarité. Ce principe consiste à laisser l’équipe prendre toutes les décisions qu’elle peut prendre et à confier au management un rôle subsidiaire de prise en charge des problèmes que l’équipe ne sait pas résoudre seule.

Tout manager d’équipe autonome doit apprendre à adopter ces différentes postures et à en changer lorsque cela s’avère nécessaire. C’est la raison pour laquelle une démarche d’équipe autonome doit prévoir une formation spécifiquement dédiée aux managers.

Les principaux pièges à éviter

  • Vouloir impliquer tout le monde : certains dirigeants ou managers, totalement convaincus par l’idée de rendre leurs collaborateurs plus autonomes, veulent embarquer l’ensemble de leurs équipes en même temps. Or, l’autonomie ne se décrète pas… et ne s’impose pas. Elle ne correspond pas à tout le monde : certains managers intermédiaires n’y voient pas d’intérêt lorsque leur équipe fonctionne très bien telle qu’elle est ou considèrent avoir d’autres priorités avant de se lancer dans la démarche ; et certains salariés ne veulent pas assumer de nouvelles responsabilités ou prendre en charge des tâches qui, pour eux, ne font pas partie de leur métier. Plutôt que de vouloir passer en force, il vaut mieux accepter ces réticences et chercher à démontrer, avec le temps, les bienfaits de l’autonomie. Dans ce but, la démarche doit se déployer par vagues d’expérimentations successives, en prévoyant de dresser le bilan de chacune d’elles et le communiquer le plus largement.
  • Vouloir aller trop vite : l’autonomie se développe, ce qui prend du temps. Si pour une mission relativement circonscrite, on peut constater qu’une équipe devient autonome au bout de 3 mois, il n’est pas rare de constater qu’il faut 6 à 18 mois pour des missions plus conséquentes. Une durée raisonnable doit donc être définie pour chaque expérimentation, sans être prescriptive pour autant : la flexibilité doit rester de mise.
  • Lancer la démarche malgré l’absence de confiance : il faut avoir conscience qu’une équipe n’acceptera pas d’entrer dans la démarche si elle n’a pas pleinement confiance dans son manager et dans sa direction. L’équipe doit en effet être convaincue qu’il ne lui sera pas fait de reproches excessifs si certaines décisions ou initiatives s’avéraient inadaptées ;  elle doit aussi penser que l’engagement dans la démarche résulte de vraies convictions de sa ligne hiérarchique et non juste d’un effet de mode qui, par définition, sera temporaire. Parallèlement, il m’est arrivé de voir un manager accepter de lancer la démarche avec son équipe alors qu’il n’avait pas totalement confiance en elle. Le résultat ne s’est pas fait attendre : il était anxieux, interprétait mal les retours qu’il obtenait  et demandait expressément plus de transparence et d’information à son équipe. Ces demandes répétées ont été mal vécues, ce qui a failli mettre en péril la démarche et conduire à son arrêt. Toute équipe qui s’engage dans cette démarche doit évaluer la confiance qui existe entre ses membres et entre l’équipe et son manager : si elle apparait insuffisante, des actions préalables visant à renforcer les liens de confiance doivent être menées.
  • Lancer la démarche avec une équipe instable : dans certains secteurs d’activité, l’absentéisme ou le turnover est à un niveau relativement élevé. Or, s’il n’y a pas un noyau dur dans l’équipe qui est stable, il est difficile pour ses membres d‘assurer la continuité de la démarche.
  • Une production à flux tendu : le développement de l’autonomie va reposer sur des échanges réguliers et des coordinations entre les membres de l’équipe. Si la production absorbe totalement leur temps de travail, ces rencontres seront difficiles voire impossibles. Il est donc crucial, pour le succès de la démarche, de réfléchir en amont aux adaptations nécessaires dans l’organisation du travail pour libérer du temps aux équipes afin qu’elles se rencontrent et échangent de manière régulière.
  • Le non-alignement de la ligne hiérarchique: l’expérience montre qu’il est très difficile pour des managers intermédiaires de rester engagés dans la démarche quand leur propre hiérarchie reste très directive. Cette démarche ne peut se déployer sereinement et produire des résultats satisfaisants sur le long-terme que si toute la ligne hiérarchique s’engage dans un changement de pratiques managériales visant à accorder plus d’autonomie aux niveaux subordonnés. Dans l’une de mes plus récentes interventions, la direction générale a ainsi pris la décision non seulement de se former au développement d’équipes autonomes, mais aussi de développer l’autonomie de son codir, après lui avoir proposé de se former à la démarche. C’est l’un des moyens pour tendre vers un alignement des pratiques managériales dans l’ensemble de l’organisation.
  • L’absence d’accompagnement : il peut être tentant de croire qu’une fois formés, les dirigeants et leurs managers sont en capacité d’assurer un suivi efficace de leur équipe et de répondre à toutes les variations possibles dans le développement de l’autonomie. Là aussi, l’expérience montre le contraire : tel manager qui s’aperçoit que son équipe n’avance pas dans le sens attendu mais sans savoir comment reprendre la main ; à l’inverse, tel autre manager qui constate que son équipe avance très vite et est demandeuse d’encore plus d’autonomie sans savoir répondre à cette demande ; telle équipe qui se plaint de la trop grande présence de son manager dans la vie de l’équipe ou alors de ses jugements radicaux sur le travail qu’elle a réalisé. Ces quelques exemples de situations vécues suffisent à montrer que le lancement d’expérimentations d’équipes autonomes bénéficie généralement d’un accompagnement interne et/ou externe. Cet accompagnement n’exige pas des ressources très importantes : il est généralement suffisant de rencontrer les équipes à intervalles réguliers, tous les 2 ou 3 mois, tout en restant disponible pour des demandes plus urgentes.

Conclusion

A la différence des équipes semi-autonomes prônées dans les années 80-90, à qui l’on confiait surtout la mission de résoudre des problèmes opérationnels, les équipes autonomes version XXIe siècle peuvent prendre en charge tous types de mission, à la condition toutefois que cela donne du sens à leur activité.

En outre, si l’on compare l’approche décrite dans cet article au courant de l’entreprise libérée, trois autres caractéristiques apparaissent :

  • le développement d’équipes autonomes est par nature progressif ; il n’est donc pas envisageable de transformer le fonctionnement des équipes du jour au lendemain !
  • l’autonomie peut se développer sur des périmètres limités qui, avec le temps, pourront s’étendre ;
  • les managers gardent une place centrale pour favoriser ce développement et jouer un rôle de régulateur, à condition d’accepter un repositionnement et d’adopter des pratiques managériales adéquates. Les managers sont aussi souvent plébiscités par les équipes elles-mêmes pour assurer une fonction de supervision, favoriser la coordination avec d’autres équipes ou les représenter au sein de projets transverses.

L’autonomie apparait comme une réponse à de nombreux maux de notre époque, en particulier la perte de sens au travail et la perte de collectif. Cette réponse, on l’a compris, ne s’improvise pas. Mais elle ne résulte pas non plus de l’application d’un modèle unique et valable pour tous. Le déploiement d’une démarche équipes autonomes repose donc fondamentalement sur une co-construction associant des dirigeants, des managers et leurs équipes et bénéficie généralement d’une expertise extérieure.

Les partenaires sociaux doivent aussi être associés à cet effort de co-construction, dès le début. Ils doivent, pour cela, bénéficier d’une information complète qui démystifiera certaines craintes qu’ils pourraient avoir et être associés au suivi des expérimentations. Une fois compris ses réels enjeux et après avoir constaté ses effets objectivés grâce aux bilans qui seront réalisés, ils s’avèreront être de précieux alliés de la démarche et aideront à l’ancrer dans le fonctionnement normal de l’organisation.

Remerciements : cet article et les accompagnements que j’ai menés ces dernières années se sont nourris d’échanges réguliers avec deux consultants intervenant sur un secteur d’activité particulier, l’aide à domicile : Xavier Marchand et Laetitia Flamard. Je les en remercie vivement.

Notes et références

[1] Senard, J.D. (2018) Préface de l’ouvrage La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail. Paris : Presses des Mines.

[2] Le récit qui suit est extrait de mes observations au sein de la Maison Sainte-Anne à Tinténiac, EPHAD du groupe HSTV que j’ai pu accompagner durant la période 2022-2023. Les noms des personnes citées ont par contre été modifiés, par souci de confidentialité.

[3] Bourdu, E., Péretié, M.-M., & Richer, M. (2016). La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail. Paris : Presses des Mines.

 [4]Citation tirée de la retranscription d’un entretien de Thierry Pech avec Danielle Kaisergruber sur « Les inégalités de rapport à l’avenir », Metis, 20 février 2017. URL : http://www.metiseurope.eu/les-inegalites-de-rapport-l-avenir_fr_70_art_30505.html. Consulté le 02 février 2024.

[5] Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2000). Self-determination theory and the facilitation of intrinsic motivation, social development, and well-being. American Psychologist, 55(1), 68-78.

[6] De Terssac, G. (1992) Autonomie dans le travail. Paris : Presses Universitaires de France.

[7] Coutarel, F., Caroly, S., Vézina, N. & Daniellou, F. (2015). Marge de manœuvre situationnelle et pouvoir d’agir : des concepts à l’intervention ergonomique. Le travail humain, 78, 9-29. https://doi.org/10.3917/th.781.0009

[8] Getz, I., & Carney, B. M. (2013). Liberté & Cie : quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises. Paris : Flammarion.

[9] Flamard, L., & Marchand, X. (2023). Formes et effets de l’autonomie au travail : le cas des aides à domicile dans la construction de leurs propres plannings. Activités [En ligne], 20(1). http://journals.openedition.org/activites/8366

[10] Desmarais, C., Weidmann, J., Agassiz, I., Gonin, F., Konishi, M., Nestea, P., & Petermann, M. (2022). La formalisation du contrôle dans les organisations prônant une autonomie radicale. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise, 46, 11(1), 25-54

[11] Hackman, J.R. (2002). Leading Teams: Setting the Stage for Great Performances, Harvard Business School Press.

[12] Morrissette, A. M., & Kisamore, J. L. (2020). Trust and performance in business teams: a meta-analysis. Team Performance Management: An International Journal, 26(5/6), 287-300.

[13] Everaere, C. (2007). Proposition d’un outil d’évaluation de l’autonomie dans le travail. Revue française de gestion, 180(11), 45-59.

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