Le management par objectifs à l’ère du télétravail : comment l’appliquer sans tomber dans ses travers ?

« A distance, c’est le management par objectifs qui doit primer » écrit Emmanuelle Léon, professeur de GRH à l’ESCP et spécialiste du management à distance [1]. A l’heure où le télétravail semble se généraliser pour tous les emplois qui n’exigent pas une présence continue sur le lieu de travail, le management par objectifs (MPO) apparaît effectivement incontournable. D’ailleurs, les entreprises qui l’avaient déjà adopté avant la crise ont généralement ressenti que le passage au télétravail avait été facilité. Ainsi, Christophe Bally, DRH dans une unité de production, témoigne : « Avec le management par objectifs, on se rend compte qu’être en télétravail ou au bureau ne change que peu de choses si les objectifs ont été bien définis dès le départ » [2]. En somme, le MPO présupposerait une certaine confiance et représenterait, de ce fait, l’une des composantes d’un management par la confiance [3].

Toutefois, l’expérience a montré que le MPO n’induit pas forcément une relation de confiance entre les managers et leurs équipes et peut même dégrader fortement la qualité de vie au travail. En effet, même s’il conduit à accorder plus d’autonomie aux collaborateurs par rapport à d’autres formes de management (le management par les procédures, par exemple), il n’est pas pour autant synonyme d’épanouissement et de bien-être dans toutes les entreprises qui l’ont adopté. Il est dès lors fondamental de comprendre pourquoi, afin d’imaginer une implémentation du MPO qui évite ses écueils dans le contexte du télétravail.

Pour avancer dans ce sens, je rappellerai rapidement l’origine de ce mode de management, avant d’identifier ses avantages et ses limites, pour terminer par une série de recommandations.

L’origine du management par objectifs

Le MPO a plus de 60 ans : on attribue son origine à un consultant en management américain, Peter Drucker, qui l’a décrit dans son ouvrage « The Practice of Management » en 1954 [4]. Son ouvrage se situait dans la continuité des travaux du psychologue Douglas McGregor et de l’opposition qu’il avait faite entre la théorie X et la théorie Y [5]. Pour Drucker, le but était de trouver un moyen pour que le management et les collaborateurs se mettent d’accord sur les objectifs à atteindre et que chacun puisse comprendre ce qu’il doit faire pour cela.

Le management par objectifs (MPO) se situe dans la continuité des travaux des années 50 sur les facteurs de motivation au travail – rappelons-nous la pyramide de Maslow notamment – qui ont conduit à prôner la participation et la délégation en entreprise. Il est par contre en rupture avec la méthode de management qui était alors la plus répandue, le management par les procédures (cf. le taylorisme). Il est devenu fortement dominant aux Etats-Unis dans les années 70 [6] et quelques années après en Europe et en France.

La mise en œuvre du MPO passe classiquement par trois phases : la définition des objectifs, le suivi de la réalisation du travail et l’évaluation des résultats obtenus. Ces phases interagissent si bien que les objectifs initiaux peuvent théoriquement être ajustés en fonction du suivi réalisé ou des premières évaluations de résultats. Dans la réalité, cela ne se produit toutefois pas toujours.

L’une des spécificités du MPO est de définir des objectifs en cascade à partir des objectifs de l’entreprise. Ceux-ci portaient classiquement sur des résultats économiques ou productifs (augmentation du chiffre d’affaires, amélioration de la productivité, de la rentabilité, de la qualité, …). C’est un peu moins vrai aujourd’hui où une grande majorité d’entreprises a intégré la nécessité de communiquer à ses équipes des objectifs RH, sociaux et environnementaux ainsi que des objectifs d’innovation et de qualité et sécurité. Dans les grandes entreprises, ces objectifs sont communiqués aux managers intermédiaires, qui les déclinent auprès des managers de proximité, lesquels les déclinent eux-mêmes auprès de leurs collaborateurs. Cette déclinaison exige de traduire les objectifs reçus du niveau hiérarchique supérieur en objectifs opérationnels, en indicateurs afin d’évaluer leur degré d’atteinte et en plan d’actions.

Au final, chaque salarié se voit attribuer des objectifs individuels qui serviront de base à son suivi et à l’évaluation de son travail lors d’un entretien annuel.

Depuis les travaux de George Doran publiés en 1981 [7], la plupart des managers ont appris qu’il ne fallait pas opter pour n’importe quel type d’objectif, mais des objectifs SMART. Cet acronyme regroupe 5 caractéristiques d’un objectif qui renforce son effet motivationnel tout en prenant en compte les contraintes de ceux qui doivent l’atteindre. Ainsi, un objectif SMART est :

  • Spécifique
  • Mesurable
  • Atteignable
  • Réaliste
  • Temporellement défini

Cela dit, la méthode SMART a reçu des critiques ces dernières années. Les plus importantes sont (1) que des objectifs trop spécifiques peuvent devenir vite non pertinents dans un contexte évolutif et (2) que tous les objectifs ne sont pas (aisément) mesurables. C’est le cas, notamment, des objectifs qualitatifs (ex. contribuer à l’esprit d’équipe, mieux satisfaire les besoins des clients) et des objectifs comportementaux (ex. être plus attentif aux besoins de ses collaborateurs, mieux gérer son temps).

Les avantages du management par objectifs

  • On connait la phrase célèbre attribuée à Sénèque : « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va. » ou celle énoncée par Sun Tzu : « Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre. » La définition d’objectifs aide les salariés à diriger et concentrer leurs efforts sur des cibles bien définis et, ainsi, à ne pas s’éparpiller. Edwin Locke a même montré, dès 1968 [8], que la définition d’objectifs clairs et présentant un challenge renforçait la motivation au travail des salariés, leur donnait le sentiment d’un accomplissement et les conduisaient à obtenir de meilleures performances.
  • Pour Peter Drucker, le MPO doit assurer la coordination au niveau d’une entreprise grâce à la cohérence de l’ensemble des objectifs poursuivis par chacun avec la stratégie d’entreprise. Cette cohérence découle de la méthode de définition des objectifs en cascade.
  • Le MPO permet de donner du sens en liant les objectifs individuels de chaque salarié à la stratégie globale d’entreprise.
  • Le MPO conduit chaque manager à expliciter plus clairement ses attentes à ses collaborateurs. Le travail est généralement mieux cadré, chacun sait plus précisément ce qu’il doit faire.
  • Il permet de responsabiliser les collaborateurs lorsque les objectifs sont discutés et négociés, ou a minima expliqués. C’est beaucoup moins vrai lorsqu’ils sont imposés, j’y reviendrai.
  • Le MPO permet d’accorder plus d’autonomie aux collaborateurs : ils peuvent ainsi organiser leur travail à leur guise, pourvu qu’ils atteignent les objectifs. Le travail n’est plus une succession de tâches à exécuter ou de procédures à appliquer, mais un ensemble de résultats à atteindre. C’est en cela qu’il semble particulièrement adapté, au moins théoriquement, au management à distance et au télétravail.
  • Le MPO permet enfin une auto-évaluation des réalisations et une meilleure identification de ses forces et faiblesses. S’il est associé à des actions visant à pallier les faiblesses identifiées, il devient porteur d’un développement des compétences.

Les limites du management par objectifs

A côté de ses avantages, le MPO présente de nombreuses limites. Elles se sont d’ailleurs accentuées ces 20 dernières années dans un environnement de plus en plus instable et incertain, très évolutif, dans lequel fixer des objectifs annuels devient quasiment impossible et peut même nuire à l’adaptabilité des équipes et des entreprises. Voyons les limites qui étaient déjà connues avant même ce changement d’environnement :

  • A l’inverse des recommandations de Peter Drucker, les objectifs sont le plus souvent imposés par les entreprises et non négociés. Dans une telle configuration, « le risque est grand d’établir des objectifs irréalistes et/ou non motivants » disait, déjà en 1968, Octave Gélinier [9]. Cela se vérifie dans beaucoup d’entreprises. On constate même que des managers sont conduits à décliner des objectifs qu’ils jugent hors de leur contrôle. Par exemple, dans telle entreprise ferroviaire, des managers ayant la responsabilité de conducteurs de train reçoivent comme objectif de n’avoir aucun incident sécurité grave au cours de l’année alors que, quasiment toujours, de tels incidents résultent d’une combinaison de facteurs imprévisibles et associant plusieurs activités.
  • La définition en cascade des objectifs laisse de côté les objectifs personnels des managers et de leurs collaborateurs [10]. Les entreprises, dans leur majorité, ne demandent pas à leurs salariés de fixer des objectifs en fonction de ce qu’ils voudraient faire ou ce qu’ils aimeraient changer par rapport à l’année passée ; elles leur demandent exclusivement de prendre des objectifs en fonction des buts qu’elles veulent atteindre. Cette approche peut conduire, au fil des ans, à dégrader leur motivation au travail.
  • La définition et le suivi des objectifs peuvent être chronophages et nuire à d’autres activités managériales : les managers qui passent beaucoup de temps à fixer, communiquer et suivre des objectifs peuvent avoir moins de temps à consacrer à d’autres activités clés comme la planification stratégique, le traitement des questions opérationnelles, l’animation d’équipe et le développement des collaborateurs.
  • Le MPO peut créer une forte pression : comme il aboutit à définir des objectifs individuels, certains salariés – cadres et non-cadres – ressentent une forte pression pour les atteindre. Essayant de répondre à cette pression par une activité intense, ils peuvent tomber dans le surmenage, voir leur implication chuter et alimenter de manière négative le climat de travail. En somme, la fixation d’objectif peut donc avoir l’effet inverse de celui qui est recherché. C’est le cas avec des salariés qui manquent de confiance en eux, mais aussi lorsque des salariés ne se sentent pas soutenus, que ce soit par leur manager ou leur collectif.
  • Pour la plupart des activités, et encore plus dans celles où la relation est centrale – activités de service, activités de soin, activités managériales, etc. – il est difficile de fixer des objectifs réellement mesurables. Par exemple, si l’on donne à une équipe l’objectif d’améliorer la qualité de service, il est difficile de définir des indicateurs pertinents qui lui soient rattachés et de les évaluer [10].
  • Le MPO induit une logique courttermiste, surtout lorsque des récompenses sont prévues chaque année en fonction du degré d’atteinte des objectifs. Il peut alors se révéler catastrophique dans les sociétés fonctionnant sur des cycles longs, c’est-à-dire celles qui nécessitent d’investir ou d’innover sur du moyen ou long-terme ou qui ont des cycles de prospection longs avant de décrocher des affaires.
  • Le MPO peut réduire les efforts collaboratifs et encourager la compétition. La fixation d’objectifs individuels a des limites dès lors que l’activité de chaque collaborateur dépend fortement de celles d’autres collaborateurs. Par ailleurs, le système de mesure des performances lié au MPO conduit inévitablement à comparer les salariés entre eux. Un témoignage obtenu auprès d’un employé de banque illustre très bien cette problématique : « Nous sommes toujours en compétition avec les autres », regrette-t-il. « Si tu atteins 120% et que les autres font 150%, on te fait sentir que tu es un vrai nul. On travaille beaucoup plus en fonction des autres que de nos objectifs. Si on est les meilleurs, on a un bonus, mais les moins bons, même s’ils ont atteint leurs objectifs, partiront à la prochaine restructuration » [11].
  • Le MPO peut freiner les initiatives ou l’adaptabilité au sein des équipes lorsque certains membres refusent les tâches qui ne rentrent pas dans leurs objectifs.
  • Enfin, des managers peuvent ressentir l’évaluation de leurs collaborateurs comme un acte qui peut blesser ou détruire. Dans ce cas, ils sont mal à l’aise et s’inhibent pour émettre des critiques [10].

En considérant l’ensemble des limites du MPO, on pourrait être tenté d’abandonner cette méthode de management [12]. Ce n’est pas l’option prise ici car je continue de penser que les avantages du MPO sont essentiels et plus difficiles à obtenir avec d’autres méthodes de management. Par ailleurs, sans objectif, il est difficile d’identifier des écarts ; or, l’analyse des écarts est souvent l’une des sources les plus riche d’apprentissage individuel et collectif [13]. En outre, plusieurs limites qui ont été mentionnées ne sont pas liées à l’essence du MPO, mais à la façon dont il est mis en œuvre. Or, des solutions existent pour améliorer cette mise en œuvre. C’est ce que je développerai dans la suite, après avoir précisé les enjeux d’un MPO dans le cadre du télétravail.

Quels enjeux liés au management par objectifs avec des télétravailleurs ?

Le télétravail implique que les salariés travaillent, pour partie de leur temps au moins, sans être physiquement en présence des autres membres de leur équipe et de leur manager. Le contrôle visuel n’est plus accessible. Un manager ne peut donc voir ce que font ses collaborateurs en télétravail et ne peut constater que les résultats de leur travail. Par ailleurs, en situation de télétravail, les échanges sont moins spontanés et immédiats, les rencontres fortuites inexistantes. Le télétravail implique aussi que les salariés bénéficient d’une plus grande autonomie dans l’organisation de leur temps et de leurs tâches.

Considérant ces changements induits par le télétravail, on peut mieux définir les enjeux liés à une mise en œuvre réussie du MPO. Par mise en œuvre réussie, je veux dire qu’elle ne présente pas les limites qui ont été mentionnées dans la section précédente et qu’elle réussit non seulement à rendre les salariés individuellement et collectivement plus performants, mais aussi à préserver leur bien-être. Pour cela, l’application du MPO doit réussir à :

  1. Préserver ou renforcer la relation de confiance et la dynamique d’échange entre les managers et leurs équipes
  2. Permettre aux managers de jouer pleinement leur rôle d’animateur d’équipe et de soutien à l’activité
  3. Préserver ou renforcer l’engagement, la motivation et l’efficacité de chaque salarié dans son travail
  4. Encourager les collaborations, renforcer la cohésion
  5. Mieux responsabiliser et développer l’autonomie et les compétences de chaque salarié
  6. Favoriser l’adaptation des équipes et de l’entreprise au évolutions de leur environnement

Voyons maintenant comment ces enjeux peuvent être pris en compte.

Quelle mise en œuvre du management par objectifs avec des télétravailleurs ?

Cette question est particulièrement importante pour les entreprises et organismes publiques qui n’ont pas encore adopté le MPO et qui ont été obligés d’adopter le télétravail. Cela dit, même celles et ceux qui avaient déjà déployé le MPO devraient profiter du contexte actuel pour repenser sa mise en œuvre. Les principes qui suivent devraient les y aider.

1. Des objectifs discutés et négociés entre les différentes parties prenantes

Un réel débat autour des objectifs d’entreprise doit avoir lieu, avant d’être communiqués à l’ensemble des équipes. Les parties prenantes à rassembler pour mener ce débat sont différentes d’une entreprise à l’autre mais on peut considérer qu’elles devraient inclure, a minima, les dirigeants, les responsables d’activité ainsi que des représentants des équipes opérationnelles. Ces parties prenantes devraient collectivement se mettre d’accord non seulement sur des objectifs économiques et productifs, mais aussi sur des objectifs RH, sociaux et environnementaux. Pour qu’un tel processus produise des résultats pertinents, chaque partie prenante devrait avoir préalablement analysé son activité passée et fait ses projections. Cela signifie que les responsables d’activité et les représentants des équipes opérationnelles devraient prévoir des temps d’analyse et d’échange avant de rencontrer la direction pour engager la discussion sur les objectifs d’entreprise. Autrement dit, la démarche proposée ici associe un mouvement initial bottom-up (ascendant) à un mouvement top-down (descendant) visant à communiquer les objectifs collectivement définis. Ainsi, les objectifs d’entreprise sont nourris par les réalités et les anticipations émanant des niveaux opérationnels. Les managers ayant à les décliner ont plus de facilité pour les accepter et les expliquer auprès de leurs équipes, ce qui doit contribuer à développer la relation de confiance entre eux.

2. Des objectifs formulés sous la forme d’un cap, d’une fourchette ou d’actions à mener

Cette recommandation vaut surtout pour les entreprises évoluant dans un contexte socio-économique fortement évolutif. On peut l’illustrer par un exemple : pour orienter des commerciaux évoluant dans un secteur fortement concurrentiel, plutôt que de définir un objectif annuel de vente sous la forme d’un chiffre précis (ex., + 10% cette année), il est préférable de définir un minimum à atteindre ou une fourchette (ex., « on devra augmenter nos ventes de 3-4% minimum et plus si l’on peut »). Concernant les objectifs qualitatifs, il faudrait éviter de les associer à des indicateurs chiffrés qui contribuent à une perte de sens. Ainsi, si l’objectif est d’améliorer la qualité d’un service client, plutôt que de le traduire avec des indicateurs chiffrés comme le temps passé au téléphone avec les clients ou le nombre d’appels des clients, ce qui pourrait être contre-productif (voir l’analyse de Levinson [10]), il serait préférable de définir, avec les collaborateurs concernés, des axes de travail sur lesquels travailler. Une équipe peut ainsi décider de se former à l’écoute active et/ou d’améliorer sa documentation technique afin d’être en capacité d’apporter plus rapidement des réponses à ses clients. Toutes ces approches évitent d’avoir à réévaluer trop fréquemment les objectifs et de mobiliser les managers de manière trop importante sur leur gestion au détriment d’autres activités essentielles, comme l’animation d’équipe et le soutien à l’activité.

Certains dirigeants pourraient être réticents à appliquer ces mesures, considérant que sans une cible précise, leurs collaborateurs pourraient mal utiliser leurs efforts ou ne pas faire tout ce qui est nécessaire pour obtenir les meilleures performances possibles. Nous touchons là, en réalité, à une question de confiance et de cohésion : est-ce qu’un dirigeant fixant un cap – plutôt qu’un chiffre précis – peut compter sur ses collaborateurs pour tout faire afin d’atteindre les meilleurs résultats possibles ? Peut-il croire que ses collaborateurs partagent avec lui une même ambition ? Pour les dirigeants qui répondraient par la négative à ces questions, je leur conseillerais de ne pas considérer leur défiance comme une évidence ou une fatalité ; il est en effet tout à fait possible d’agir de manière volontaire pour construire, renforcer ou restaurer des relations de confiance (voir par exemple la démarche Trust@Work).

3. Privilégier les objectifs collectifs

A distance, les télétravailleurs peuvent avoir tendance à se concentrer sur leurs tâches individuelles et à réduire leurs échanges. Des objectifs individuels peuvent renforcer ces phénomènes. Pour l’éviter, la définition d’objectifs collectifs est une nécessité. Cela ne doit toutefois pas conduire à négliger les efforts et initiatives individuels, ce qui aurait pour effet de démotiver les collaborateurs dont les efforts ont besoin d’être reconnus. Un mix d’objectifs collectifs et d’objectifs individuels peut constituer une solution, d’autant que le télétravail soulève inévitablement des problématiques individuelles. Par exemple, tel salarié, compétent, peut toutefois découvrir en situation de télétravail qu’il a du mal à s’organiser, à ne pas céder à certaines distractions et/ou à faire des priorités. Dans ce cas, il peut être opportun de fixer avec lui un objectif de gagner en autonomie, tout en lui proposant des actions concrètes pouvant y contribuer.

Une autre solution existe toutefois et consiste à ne définir que des objectifs collectifs tout en demandant aux managers de développer plus de proximité avec chacun de ses collaborateurs afin de prendre en compte leurs problématiques individuelles. Mais est-ce qu’une une telle recommandation reste compatible avec la mise en place du télétravail ? Oui, si les managers ont la volonté et les moyens de multiplier les échanges avec leurs collaborateurs, ce qui est l’objet de la recommandation suivante.

4. Développer le relationnel avec les collaborateurs

Le télétravail a tendance, avec le temps, à réduire les temps d’échange informels. La relation entre un manager et son équipe risque donc de s’articuler uniquement autour d’échanges formels. En se combinant au MPO, la relation risque de devenir purement contractuelle. De tels risques doivent être évités si l’on veut préserver la motivation et l’engagement des salariés et si l’on veut reconnaitre les efforts particuliers de chacun. Pour cela, les managers et leurs collaborateurs doivent accepter de consacrer du temps au développement et au maintien de leur relation. Développer le relationnel ne veut pas juste dire organiser des moments de convivialité, comme on le lit souvent. Cela signifie aussi, et surtout, que l’intérêt pour le travail de l’autre et l’écoute doivent être développés, d’une part, et que les moments de travail en commun et de résolution collective de problème doivent être multipliés, d’autre part. Ce faisant, une forme de proximité psychologique peut se créer entre les membres d’une équipe et leur manager, compensant le manque de proximité physique. Autre avantage : chaque manager peut ainsi mieux comprendre les capacités de chacun de ses collaborateurs à gérer le télétravail.

5. Réduire la demande de reporting

Cette recommandation découle des précédentes : si les collaborateurs se sentent engagés dans la réalisation d’objectifs collectifs définis collectivement et s’ils constatent l’importance donnée par leur manager au relationnel, ils n’hésiteront généralement pas à mentionner d’eux-mêmes les progrès réalisés vers leurs objectifs ainsi que les obstacles qu’ils rencontrent. Leur demander du reporting trop fréquemment et/ou de manière trop importante et par écrit pourrait non seulement ajouter une charge de travail jugée inutile mais aussi envoyer un signal qui a toutes les chances d’être perçu comme de la défiance.

6. Evaluer l’atteinte des objectifs pour apprendre collectivement et s’adapter

A distance, encore plus qu’au bureau, il est nécessaire pour un manager de chercher à comprendre comment un objectif a été atteint ou pourquoi il n’a pas été atteint. En effet, en ne partageant plus le même espace-temps, les collaborateurs en télétravail sont dans une situation beaucoup moins prévisible et contrôlable (ex., plus difficile de rencontrer un collègue pour obtenir de l’aide ; accès plus difficile à certains outils ou documents ; etc.). En outre, si certains télétravailleurs réussissent à s’organiser, s’auto-motiver et entretenir leurs relations professionnelles, d’autres n’y arrivent pas… et ne l’expriment pas toujours spontanément. Pour toutes ces raisons, l’évaluation des objectifs doit privilégier l’analyse et non le jugement ou la sanction ; elle doit viser à mieux comprendre les difficultés soulevées par le (télé)travail et les solutions à apporter pour les réduire ou les éliminer ; et elle doit conduire à ré-évaluer, si besoin, les objectifs initialement fixés. En somme, et pour rejoindre des préconisations faites par Douglas McGregor dès les années 50, chaque séance d’évaluation devrait être guidée par l’objectif de mieux responsabiliser ses collaborateurs. Elle devrait être abordée comme « un outil de conseil. Ainsi, le supérieur deviendrait celui qui aide ses subordonnés à atteindre leurs propres objectifs au lieu d’être l’inspecteur des travaux finis. »

En outre, en mettant l’accent lors de l’évaluation sur l’analyse et la recherche collective de solutions, chaque équipe se donne les moyens de continuellement s’adapter aux besoins nouveaux et aux contraintes nouvelles remontés par les collaborateurs. Et en faisant remonter ces informations auprès de leurs N+1, qui eux-mêmes les feront remonter à leurs N+1, les équipes favorisent une adaptation continue de leur entreprise à son milieu. Bien sûr, cela suppose que tous les managers, quel que soit leur niveau dans l’organisation, appliquent les mêmes principes de confiance, d’écoute, d’analyse et de participation. Ce n’est qu’à cette condition que le MPO peut rester pertinent dans un contexte fortement évolutif et dans lequel le management à distance devient plus la règle que l’exception.

Conclusion

Le MPO peut constituer une réponse pertinente à la distance introduite par le télétravail. Mais cela suppose de l’appliquer en respectant des principes qui, pour la plupart, ont été définis dès l’origine : le MPO doit être un processus collaboratif, basé sur la concertation et la négociation, aidant à progresser plus qu’à sanctionner, favorisant l’auto-évaluation plus que le contrôle des résultats, contribuant au développement conjoint de la responsabilisation, de l’autonomie et des compétences.

Pour que ces principes prennent corps, l’entreprise doit nourrir une certaine confiance à l’égard de ses salariés, encore plus lorsqu’ils télétravaillent. Et parallèlement, les salariés doivent entretenir une certaine confiance à l’égard de leurs managers et de leurs dirigeants. Cette confiance réciproque est gage d’écoute, de dialogue, de collaboration et de transparence, des conditions essentielles pour une mise en œuvre réussie du MPO.

Bibliographie

  1. Tribune du journal Les Echos datée du 15 juillet 2020.
  2. Eigenmann J. (2020) En télétravail, le management par objectifs est précieux mais risqué. Le Temps, 18 décembre 2020.
  3. Pour plus d’informations sur ce mode de management, voir : Karsenty, L. (2017) Le management par la confiance. Blog d’Ergomanagement. https://www.ergomanagement.fr/management-par-la-confiance/
  4. Drucker, P.F. (1954) The Practice of Management. Harper & Row, New York (trad. fr. La pratique de la direction des entreprises, Les éditions d’organisation, 1957).
  5. McGregor, D. (1966). Leadership and motivation. M.I.T. Press.
  6. Kondrasuk, J.N. (1981). Studies in MBO effectiveness. Academy of Management Review, 6, 419-430.
  7. Doran, G. T. (1981). There’s a S.M.A.R.T. Way to Write Management’s Goals and Objectives. Management Review, 70, 35-36.
  8. Locke, E. A. (1968). Toward a Theory of Task Motivation and Incentives. Organizational Behavior and Human Performance, 3, 157-189.
  9. Gélinier O. (1968) Direction participative par objectifs. Paris : Editions Hommes et Techniques.
  10. Levinson, H. (2003). Management by whose objectives? Harvard Business Review, January, 107-116.
  11. Tiré de Eigenmann J. (2020) En télétravail, le management par objectifs est précieux mais risqué. Le Temps, 18 décembre 2020.
  12. Delavallée, E. (2015) La direction par les objectifs, et après ? L’Expansion Management Review, 117(2), 83-91.
  13. Karsenty L. (2018) La gestion apprenante des écarts : un enjeu central pour maintenir la confiance au travail. Blog d’Ergomanagement. https://www.ergomanagement.fr/gestion-apprenante-des-ecarts/

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